Ceci doit bien être la trentième fois que je me lance dans l’écriture de ce texte. J’espère que cette fois ci sera la bonne. Il le faut, c’est une nécessité. Je vous disais précédemment que je le sais, je le sens, tant que ce texte ne sera pas rédigé, je ne pourrai plus rien écrire, plus rien créer. Je n’arrive plus à écrire, je n’arrive plus à créer. J’espère que cette tentative sera la dernière. J’espère vraiment.
Je pense que plusieurs choses ont fait en sorte que ce texte prenne autant de temps à être écrit. Il y a d’abord que je suis d’une pudeur extrême, et je savais que j’allais devoir y écrire des choses que je n’aurais pas aimé partager d’une manière trop ouverte. Je devais donc trouver une façon de dire tout, de me dire tout, de vous dire tout, tout en ne disant rien. Ou du moins rien qui ne m’expose trop. Il y a aussi que je n’avais certainement pas fini de vivre ce que j’avais à vivre et donc je ne pouvais pas me lancer dans l’écriture d’une expérience qui n’avait pas fini d’être expérimentée. Aujourd’hui a été une assez laide journée pour moi. Rien de spécial pourtant, j’ai d’ailleurs pu faire un achat qui aurait du égayer toute ma journée. Mais aujourd’hui a été aujourd’hui et je me suis sentie un peu dépassée et déboussolée. Et j’ai ressenti le besoin d’écrire. Non pour parler de ma journée affreuse qui en soi n’est pas une journée affreuse mais pour partager ce billet que je me promet de partager depuis des lustres. L’histoire a été cristallisée, la combustion a eu lieu et elle s’est achevée, la chose est morte, l’histoire a été pleinement vécue, je suis née, l’expérience peut être partagée. Je peux écrire. Avec la pudeur que vous me connaissez.
2018 et 2019 (qui n’est pas encore achevée) ont été de très laides années pour moi. Ce sont des années que très sincèrement, je n’aimerais pas revivre. Les choses ont été difficiles, très difficiles, beaucoup plus que d’habitude. L’année passée j’ai connu ma première expérience dans l’humanitaire et la première chose que j’ai appris de mon stage était la résilience. Ma boss l’avait défini comme étant la capacité de se relever après un choc. En gros c’est ce qu’on était supposé apprendre aux populations bénéficiaires des projets de l’ONG pour laquelle je bossais, principalement des réfugiés et des populations déplacées internes. On devait leur apprendre la résilience, à se relever du choc, on leur apprenait à revivre, à vivre autrement. Je ne savais pas, au moment où j’effectuais ce stage que les mois qui allaient suivre allaient me contraindre à m’armer de résilience. Cette année j’ai du apprendre à vivre autrement, à revivre.
Le 03 Janvier de cette année je partageais ici sur le blog un cri strident. Je venais juste de mourir de ma seconde mort (je dis seconde et non deuxième parce que j’espère qu’il n’ y aura pas une troisième) et cette mort là avait été plus violente que la première. Elle avait été plus violente que la première ce d’autant plus qu’il y avait eu une conscience de cette mort là. Lors de ma première mort je n’avais pas su que j’étais morte, ce qui fait que cette mort s’était passée un peu plus paisiblement que la seconde. Il y a eu de tels bouleversements à l’intérieur de moi même que le dedans s’est reflété sur le dehors. Physiquement, je pense avoir atteint mon maximum en terme de maigreur. J’en garde d’ailleurs des séquelles. J’ai connu une saison blanche et sèche. La vie avait l’odeur du sang et de la mort. L’odeur du sang et de la mort. Cette mort a été tellement profonde, qu’elle a amené d’énormes bouleversements. J’ai végété, dans une désespérante position fœtale, à attendre que la tornade passe, à attendre de naitre, à attendre la fin de ma mort, j’ai été un fœtus. J’ai vécu comme un fœtus, dans une bulle de sécurité, repliée sur moi-même.
J’ai longtemps marché sur une corde suspendue dans le vide, j’ai été funambule. Le plus gros challenge a été de ne pas mourir une troisième fois. On ne peut pas passer sa vie à mourir, j’étais déjà morte deux fois, c’était deux fois de trop. Je ne sais pas ce qu’il serait advenu si je mourrais une troisième fois après deux morts si récentes, mais je sais que je devais tout faire pour ne pas mourir. Je me suis battue pour rester en vie. Alors je suis restée en équilibre sur la corde, tant bien que mal. Le vent soufflait, j’avais les vertiges mais j’évitais avec toute la force qui me restait de tomber dans le vide. Et de m’écraser. Et de mourir. Encore.
Dans toute cette tourmente c’est ma relation avec le Divin que je regrette le plus. J’ai d’ailleurs partagé un billet ici où je déplorais le dépérissement de nos rapports. La distance qui existe entre la créature et le créateur provient toujours de la créature. La distance qui existe désormais entre Dieu et moi ne vient que de moi. C’est moi qui lui ai tourné le dos, c’est moi qui me suis éloignée. Parce que les choses ont été ce qu’elles ont été, un fossé s’est creusé. Que j’essaye de combler. Malgré les tentatives, il m’est tellement difficile de retrouver le rapport privilégié que j’avais avec le Divin. Ma foi s’est tellement assoupie, Dieu est devenu un étranger. Ce n’est plus vers lui que je me tourne pour raconter la difficulté. La nature a horreur du vide, je me suis tournée vers un remplaçant, l’écriture. J’ai écrit un je méconnaissable cette année. Un je qui était certainement le résultat de plusieurs années d’intériorisation de tout et surtout un je qui était la révolte de ce que je vivais ces temps. Mais vous savez le générique ne peut pas remplacer l’original, l’écriture de l’intime ne peut donc pas remplacer mon rapport avec le divin qui se fait par le canal de la prière donc le vide existe toujours; que j’essaye de combler avec quelque chose dont je sais pourtant n’avoir pas le pouvoir de combler ce qui est creux.
S’il y a une autre chose que j’ai appris dans mon immersion dans le monde de l’humanitaire c’est bien ceci, face au choc, nous réagissons tous de façon différentes. Tous. Mon expérience était mon expérience et n’était l’expérience de personne d’autre. La solution devait donc venir de mon écoute de moi même. De moi seule.
Il y a une conscience de la vie qui survient toujours lorsque la conscience de la mort elle, apparait. Cette année j’ai appris que le conditionnel est le temps des pièges et des regrets, le temps des choses qui ne se feront pas, des choses qui auraient pu être mais qui ne seront pas, qui ne seront jamais, le temps des impossibles. Le conditionnel est un piège terrible où l’on tombe facilement. Je suis tombée dans le piège du conditionnel. On ne peut cependant pas vivre sa vie au conditionnel. C’est impossible. La vie exige que l’on vive à l’indicatif, au présent. Autrement, on ne vit pas.
Il faut donc Accepter un possible autrement. Embrasser l’indicatif. C’est le seul temps où l’existence se meut, où la vie est possible. Ce n’est que de cette manière que la vie est possible. Et cela a été rendue possible grâce à trois choses. D’abord je suis née, et ça été une expérience magnifique. Au matin, l’allégresse. La naissance justement, a eu lieu un matin. Je ne sais plus quel mois. Un matin, la conscience de ce que je suis, de ma valeur a surgit et j’ai pleuré de joie. Révélation. Mais comme le nouveau-né j’ai du apprendre à vivre, c’était la deuxième chose. J’ai du apprendre à vivre autrement. Il y a cet article d’Anne K. qui m’a baffé, littéralement. Un « reveille-toi! » assez extraordinaire, violent. En gros elle y disait, qu’au jeu de la vie il n’y a que des gagnants. La clé c’est de trouver comment gagner. Lorsqu’on vit une expérience, on peut avoir le sentiment d’avoir été le perdant de l’histoire. De s’être perdu, d’avoir tout perdu. Il y a une pagaille inévitable qui s’installe et on doit chercher le bon à l’intérieur de cette pagaille. On ne perd que si on refuse de gagner. On ne perd que si on refuse la victoire, l’autre victoire. Celle qu’on n’attendait pas, celle qui n’apparait pas au premier regard, ni au deuxième. C’est une victoire qui est cachée et qui a besoin d’être révélée mais surtout d’être acceptée. J’ai accepté la victoire. Pas celle que je voulais mais celle qui au final était à ma disposition. J’ai appris. Énormément. C’est en cela que je suis gagnante. La troisième chose dans mon apprentissage du possible autrement a été la prise de conscience du caractère éphémère des choses. Ce n’est pas que je pense que tout est éphémère, il y a évidemment bien des choses qui sont éternelles, mais ce que je vivais était éphémère et je devais prendre conscience de ce caractère pour achever le processus. Les choses durent le temps d’une saison. Le temps d’une naissance, le temps d’un sourire. Le temps d’une promesse, le temps d’un mirage. Puis elles s’en vont, puis elles reviennent. Et elles sont magnifiques parce qu’elles sont ainsi faites, éphémères. Les choses sont épisodes. La douleur aussi est épisode, et parce qu’elle est épisode elle se doit d’être vécue dans son entièreté et parce qu’elle est épisode elle aura une fin. Il y a eu cette fin.
Lorsque le déluge arrive la façon la plus sure de retrouver la quiétude est de réapprendre à apprécier les choses simples. Rentrer et se poser devant une bonne série, acheter un roman qu’on n’est pas sure de lire un jour, marcher et s’écouter, s’entendre vivre, revivre. On se dit, c’est déjà pas mal ça. Je suis en vie, c’est déjà pas mal. On fait un pas, puis un autre. On n’essaye pas de courir, on prend son temps. On vit les choses entièrement. Puis j’ai entamé un voyage initiatique. Une expérience dans le réel, l’interne et l’intime. C’est une expérience incroyable. Je suis allée à ma rencontre. J’ai été éblouie, je suis éblouie. C’est ce que vivre veut dire.
Je n’ai certainement pas été très claire tout au long de ce texte. Vous ne me comprendrez certainement pas. Il y a certainement beaucoup de non dits qui rendent complexe la compréhension de ce texte. Mais j’ai dit ce qu’il y avait à dire et surtout, j’ai dit tout ce que je pouvais dire, de la façon qui m’expose le moins. La seule que je pouvais utiliser.
J’ai beaucoup végété cette année. Là je vibre, je suis en vie. Réellement. Je vis à l’indicatif, au présent. C’est le seul temps qui compte.
J’aime la vie. Je suis heureuse.
Je vous envoie un brin d’encouragement, pour libérer les ailes de la liberté, les vôtres, merci de nous avoir gratifié de ce texte. Vous êtes une personne pleine de ressources.
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L’écriture s’est se mettre à nu, merci de t’être livré même si c’est avec des réserves. Excuse donc ma gourmandise si j’en demande encore davantage !
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Beautiful. L’écriture est un art. J’espère que tu as pu trouver dans ce texte le soulagement escompté.
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Waouuuuh, je découvre juste l’article et donc la mention. Quelque soit ce que tu as pu vivre, je suis heureuse
1. Que tu puisses avancer
2. D’avoir été d’une quelconque aide dans le processus
God is good, ne l’oublie pas. Même si toi tu t’éloignes, lui est toujours là. Bises et beaucoup de courage
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Le plus important « J’aime la vie. Je suis heureuse. » 🙂
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Allégorie belle & poignante.
Merci.
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