Quand partir devient nécessaire

Mardi 25 Février 2020.

Il est 22h lorsque  le bus que j’ai réussi à choper  quitte Yaoundé en direction de Douala. Je suis arrivée dans la ville vers 03h du matin.

Quelques heures plutôt j’étais avec mon amie Lary et je lui ai sorti « je vais à douala, je ne peux pas passer une nuit de plus dans cette ville. » Elle n’a posé aucune question (je l’en remercie d’ailleurs) et m’a accompagné jusqu’à l’agence de voyage. Et j’ai fait mes valises, ma mère m’a regardé interloquée me demandant ce que j’avais de si urgent à faire dans cette ville. La vérité c’est que je n’y avais rien de spécial à faire, ou bien si peut-être. Assurément. J’y avais quelque chose à faire: rester en vie. J’avais l’impression qu’une bombe à retardement qui ne faisait que grossir depuis des semaines allait exploser si je passais la nuit à Yaoundé. Non que Yaoundé est une ville où il ne fait pas beau vivre ou que douala est une ville que j’affectionne spécialement mais il y’avait un impératif qui était de partir et faire autrement m’aurait très certainement été préjudiciable. Douala a été choisie où en d’autres circonstances, je serais allée ailleurs. Mais c’était la seule ville à ma portée, je pouvais m’y rendre assez facilement, nul besoin de fortune pour s’y rendre et ma sœur y vit ce qui me garantissait la gratuité du logement. Comprenez donc que le choix a été fait vis à vis de l’impératif et non parce que j’aime cette ville. Aucun plan, presque rien en poche. Mais je devais partir, j’avais besoin d’être ailleurs.

Je suis partie.

Lorsque je suis arrivée ma soeur et mon cousin qui m’ont accueilli étant très perplexes ont tous les deux affirmé «forcément tu viens voir un homme. » Ce qui était extrêmement faux. Je ne suis d’ailleurs pas sortie de chez ma soeur depuis maintenant plus de deux semaines que j’y suis. Il était incompréhensible pour eux que quelqu’un décide de voyager de nuit sur un coup de tête.

En faisant mes valises, j’ai annoncé mon arrivée imminente à un ami. Je lui ai dit «il est possible que je vienne à douala prochainement. Demain matin. J’ai la sensation que je vais exploser ici. En fait, je viens ce soir. » Et il m’a répondu: « Ouh là ça ne va vraiment pas. » Et oui ça n’allait vraiment pas.

Donc je suis partie. Je vous le disais 2020 n’a pas super bien commencé de mon côté mais mi février bien décidée à prendre le train en marche, je me suis trouvée sur le haut de la vague. Puis la vague a échoué, et j’ai senti ma paix disparaître de plus en plus. Généralement les périodes « down » sont causées par les bouleversements internes que les actes des autres causent mais cette fois-ci c’est différent parce qu’en plus, j’ai contribué à ma mon propre malheur. En droit il y’a un adage qui dit nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Donc techniquement, je ne peux en vouloir qu’à moi même. Ce qui rend la chose encore plus difficile. Car il est plus facile d’en vouloir lorsque l’objet de notre rancoeur est étranger mais là la rancoeur est dirigée vers soi-même et c’est doublement douloureux. En soi la rancoeur est une gangrène et elle est d’autant plus une gangrène lorsqu’on en est l’objet.
Donc je suis partie, mardi soir à 22h. Parce que j’avais la certitude que je n’aurais certainement pas survécu à une nuit de plus à Yaoundé, comme si Yaoundé était l’épicentre de mes malheurs. Pourtant, mes soucis je les transportais toujours avec moi puisqu’ils sont en moi. Mais être ailleurs me donne l’impression d’avoir appuyé sur le bouton « pause » de quelque chose qui allait bientôt me dépasser. J’ai réussi à avoir des nuits complètes de sommeil ce que je n’arrivais pas à avoir depuis plusieurs semaines déjà et j’ai également réussi à écrire un texte que je ne parvenais pas à écrire depuis. Donc on peut dire que m’écouter, écouter mon impératif besoin d’ailleurs était une bonne idée. Le sentiment de culpabilité et la rancoeur envers soi-même demeurent mais à côté j’ai fait une expérience de déplacement vers l’autre. J’ai souvent été celle à qui on a fait du mal, et j’ai souvent essayé de me mettre à la place des gens à qui on fait du mal pour comprendre leurs douleurs. Donc j’ai toujours voulu comprendre la victime. Mais dernièrement je me suis placée de l’autre côté de la douleur, celle qui peut paraître illégitime aux premiers abords. Le côté du bourreau. Pas du bourreau qui a agit dans l’intention de faire du mal en toute conscience mais du bourreau qui a fait du mal tout court. Et j’ai découvert quel dégoût vous avez de vous-même non seulement à cause de l’acte dommageable mais aussi et surtout de vous voir à travers le regard des autres. Le dégoût d’être un paria, et de souffrir de la sentence du bannissement et de la rancune. Et l’inquiétude qui naît du questionnement permanent qui vous habite, à savoir si un jour on aura achevé de vous en vouloir. Voir la vie côté bourreau est une expérience inédite.

Je suis partie un mardi soir à 22h. Parce que partir était devenu impératif. Parce que pour ma survie, partir était devenu nécessaire.

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Bah, bienvenue à Douala. Tu seras à l’aise ici,sois en sûr.

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